En 1926, jeune marié, il part s’établir à Nottingham, en Angleterre, où il parfait sa maîtrise de l’anglais et de la culture britannique, exerçant notamment la profession de représentant. Ce n’est qu’à son retour en Belgique, en 1929, qu’il entreprend de concrétiser son rêve. Très attaché à Oisy, un village d’Ardenne où il a de nombreux souvenirs, il choisit d’en faire son nom de plume ; ainsi apparaît la signature de Jean Doisy. Il débute modestement par des traductions d’articles issus de revues scientifiques anglo-saxonnes, et s’essaye à un premier roman policier, Nuit de tempête, qui paraît en 1933. Sa carrière démarre simultanément lorsqu’il rencontre l’éditeur Paul Dupuis, qui lui ouvre les pages de sa revue d’actualités et de programmes radio Le Moustique. Il s’y impose, marquant de sa plume enjouée l’esprit du journal « qui pique » ! Journaliste prolifique, il doit multiplier les pseudonymes, mais on retrouve dans chacun de ses papiers le même ton volontiers sarcastique, un brin moralisateur, brandissant les idées de son employeur – conservatrices bien-pensantes – tel un étendard, sans jamais renier les siennes – à forte tendance marxiste.
Devenu un véritable pilier de la maison, la direction lui confie tout naturellement les fonctions de rédacteur en chef d’une nouvelle revue pour la jeunesse créée en 1938, le Journal de Spirou.
Ce poste lui offre sans doute l’un des plus beaux rôles de sa vie. Aux yeux de dizaines de milliers de jeunes enfants, il incarne désormais le Fureteur, éditorialiste vedette auréolé de mystère, grand frère protecteur et autoritaire, volontiers taquin. Pour eux, il crée aussi le club des Amis de Spirou (les AdS), où chaque membre est investi d’une mission d’importance : respecter les principes du code d’honneur du personnage et répandre la propagande de la maison. Son sens de l’animation galvanise littéralement ses troupes, générant un véritable engouement dans la jeunesse. Sans doute pour compenser le côté trop parfait du Fureteur, il lui imagine un collègue fantaisiste à souhait, Fantasio, aussi distrait et gaffeur que son supérieur est calme et pontifiant. Habitué à jongler avec ses différents pseudonymes selon l’humeur de ses papiers, il incarne ce personnage hurluberlu dans diverses revues jusqu’au début des années 1950. C’est d’ailleurs à lui qu’on doit d’avoir suggéré à Jijé d’en faire un personnage récurrent des aventures de Spirou.
Grand manitou du Journal de Spirou, il en est la voix, tissant peu à peu un lien « grand fraternel » avec son jeune public. L’arrivée des Allemands sur les terres de Belgique en mai 1940 ne réussit ni à éteindre la ferveur des lecteurs ni à bâillonner la rédaction. Mieux : Doisy transforme petit à petit ses rédactionnels en organes de propagande anti-allemande, déjouant régulièrement la vigilance de la censure ! Armé de son seul code d’honneur, il exhorte la jeunesse à rester digne face à l’occupant, multipliant les leçons d’éducation morale au travers de réponses passionnées à l’abondant courrier des lecteurs. Et pour asseoir son discours, il crée un héros à la hauteur des valeurs qui sont les siennes, susceptible de devenir un modèle pour chaque enfant. Ce grand frère héroïque, c’est Jean Valhardi, qui fait sensation dans les cours de récréation de Belgique durant toute l’Occupation.
Engagé dans la Résistance dès septembre 1940, Jean Doisy mène également son combat sur le terrain, attaché à l’état-major du Front de l’indépendance. Pour assurer la liaison entre les membres passés dans la clandestinité et recherchés par la Gestapo, il risque sa vie chaque jour, allant jusqu’à organiser l’infiltration d’un espion à Auschwitz pour prouver à la Belgique l’existence des camps de la mort, il fournit également des armes à la Résistance, recrute des membres pour le compte du Comité de défense des Juifs… Il accomplit même parfois certaines de ces actions sous la couverture que lui offrent ses fonctions au Journal de Spirou. Ainsi le Théâtre du Farfadet, créé par le marionnettiste André Moons pour les éditions Dupuis, sillonne la Belgique occupée, entraînant dans sa caravane quelques résistants munis de laissez-passer en bonne et due forme…
À la Libération, Jean Doisy a 45 ans. Il a réussi tous ses combats, pour l’écriture, pour ses idées… Une nouvelle génération née des décombres de la guerre s’installe dans la maison Dupuis, avec laquelle, progressivement, il prend ses distances. Tout en poursuivant l’écriture des histoires de « Jean Valhardi », d’articles de fond pour Le Moustique, ou de romans policiers, il développe une collaboration avec la grande presse d’opinion, et anime même une émission hebdomadaire dans une radio locale, consacrée à la vie dans les campagnes wallonnes.
Un cancer foudroyant de la gorge aura raison de lui. Le 6 octobre 1955, il décède prématurément dans sa maison de Notre-Dame-au-Bois. Ayant précédé l’âge d’or de l’hebdomadaire et l’essor de la bande dessinée, il est peu à peu oublié. Pourtant, le Journal de Spirou lui doit sans doute une grande part de son esprit, fait d’humanisme, de fantaisie et de curiosité, ainsi que son slogan : “Ami, partout, toujours !”