Vers 18 ans, il fait timidement le tour des rédactions. À sa grande fierté, il finit par placer un dessin à ‘Ici Paris’ ; à sa grande déception, sa signature est coupée. À son retour de l’armée, il dessine pour ‘France Dimanche’, ‘Paris Match’, ‘Le Hérisson’ et ‘Quartier latin’, un modeste journal vendu à la sauvette par Georges Bernier, connu plus tard sous le nom de professeur Choron. C’est avec le même Georges Bernier et François Cavanna (rencontré à ‘Ici Paris’) que Fred crée ‘Hara-Kiri’ en septembre 1960. Promu directeur artistique, il exécute les 60 premières couvertures, touche un peu à tout, s’aperçoit qu’il aime bien écrire, et revient à la bande dessinée avec “Les Petits Métiers”, “Le Manu Manu”, “Tarsinge, l’homme Zan” et “Le Petit Cirque”.
En 1966, après six mois de labeur, il propose 15 planches d’une nouvelle histoire au journal ‘Spirou’, qui les refuse : le dessin n’est pas bon, l’histoire non plus… À la lecture des mêmes planches, René Goscinny, alors rédacteur en chef de ‘Pilote’, s’enthousiasme et décide de publier le récit : “La Clairière des Trois-Hiboux” est le premier épisode des aventures de Philémon. Mais cette fois-ci, ce sont les lecteurs qui n’apprécient pas le dessin. Fred décide donc de s’en tenir à l’écriture ; il propose toute une série de scénarios qui seront mis en images par d’autres – ce qui ne l’amuse pas du tout… sauf quand il imagine “Time Is Money” pour Alexis. Et puis, il commence à ruminer dans ses moustaches l’idée d’envoyer Philémon sur les lettres de l’océan Atlantique – idée qui lui est venue dans son bain : où va-t-on quand on se laisse aspirer par le tourbillon de la baignoire qui se vide ? (Fred trouve toujours ses idées dans son bain. Quand l’idée ne vient pas, il en prend cinq par jour ; il est donc très propre…) Il écrit le scénario, le fait lire à Goscinny et déclare assez fermement qu’il veut le dessiner lui-même. Goscinny accepte, et la grande aventure de Philémon, dont le quinzième album paraîtra en 1987, commence.
Dans les années 1970, tout le monde s’arrache ‘Pilote’, même Jacques Dutronc qui demande à Fred de lui écrire des chansons. Fred tente le coup avec une fraîcheur absolue, à l’instinct : “Le fond de l’air est frais” entre très vite au hit-parade. Devenus copains, les deux artistes réalisent deux livres-disques pour enfants : “La Voiture du clair de lune” et “Le Sceptre”.
En 1983, après quelques expériences autoéditées, dont le magnifique “Magic Palace hôtel” (1980), Fred imagine, pour l’imagerie Pellerin d’Épinal, “La Magique Lanterne magique”, puis, pour Futuropolis, un superbe portfolio intitulé “Manège”. C’est alors que ‘Le Matin de Paris’ lui offre une pleine page hebdomadaire qu’il occupe avec “Le Journal de Jules Renard lu par Fred”, une histoire qui sera publiée en 1988 chez Flammarion.
En 1991, Fred signe trente-cinq scénarios de courts-métrages réalisés, entre autres, par Daniel Vigne (“Le Retour de Martin Guerre”) Jacques Rouffio et Gérard Zingg. Tournés en trente-cinq millimètres dans des conditions extrêmement luxueuses – pour deux minutes de pellicule, une équipe de 30 personnes part, par exemple, dans le désert avec des Land Rover –, ces courts films sont des merveilles de poésie et d’humour. Pris au jeu, Fred signe ensuite, pour Gérard Zingg, le scénario d’un long-métrage, “L’Autobus de la haine”. Le projet est malheureusement abandonné.
Après “Philémon”, Fred explore d’autres univers et signe plusieurs albums considérés (à juste titre) comme des chefs-d’oeuvre : “L’Histoire du corbac aux baskets” (Dargaud, 1993), “L’Histoire du conteur électrique” (Dargaud, 1995) et “L’Histoire de la dernière image” (Dargaud, 1999). À la fin de l’année 2010, Dargaud regroupe d’ailleurs ces trois albums dans un coffret, auquel est ajoutée l’histoire du “Magic Palace hôtel”, pour la première fois mise en couleurs !
Deux recueils de dessins d’humour – “Le Noir, la couleur et lavis” (Dargaud, 1997) et “Fredissimo” (Dargaud, 2000) – voient également le jour. Mais Fred se fait rare ; il se prête pourtant au jeu de la confidence dans une rubrique régulière, “Un magnéto dans l’assiette de Fred”, publiée dans ‘La Lettre, l’officiel de la bande dessinée’.
Cet auteur majeur de la bande dessinée a tant de choses à raconter que Dargaud lui consacre une biographie : “L’Histoire d’un conteur éclectique” (Dargaud, 2011). Rédigée par Marie-Ange Guillaume, cette monographie de 200 pages rassemble de nombreux documents inédits, dont les toutes premières pages du prochain “Philémon”, un épisode auquel Fred travaille depuis plusieurs années.
En attendant la sortie de ce nouvel album, Dargaud réédite, en 2011, les 15 épisodes de la série dans une intégrale millésimée en trois volumes, et présente aussi une nouvelle édition du superbe “Petit Cirque”. Cette version, remasterisée à partir des originaux et agrémentée de quatre pages supplémentaires, paraît en janvier 2012, à l’occasion de la grande exposition rétrospective que le festival d’Angoulême consacre à Fred.
En février 2013, Fred publie son dernier Philémon, “Le train où vont les choses”, le tome 26 de la série qu’il avait commencée vingt-cinq ans plus tôt. Mais l’aventure n’est pas finie : le producteur Roger Frappier travaille en ce moment à l’adaptation cinématographique de la série, ce que l’auteur avait, jusqu’à présent, toujours refusé.
En mai 2013 paraît “Un magnéto dans l’assiette de Fred” (Dargaud), un recueil de l’ensemble des entretiens publiés dans ‘La Lettre’.
En 2014, Dargaud continue son programme de réédition autour de Fred, avec “Le Journal de Jules Renard lu par Fred” et “Cythère l’apprentie sorcière”.
En 2015, pour les cinquante ans de la création de Philémon dans ‘Pilote’, sort “Autour de Philémon” (Dargaud), un beau livre autour du personnage fétiche de Fred.
En 2016 est prévue une réédition complète du chef-d’oeuvre de Fred et Alexis, “Time Is Money”.
Fred fait partie des géants de la bande dessinée et a influencé toute une génération d’auteurs. Dans chacune de ses oeuvres – de “Philémon” au “Petit Cirque” –, l’auteur accomplit un numéro de funambule dans lequel son génie éblouit. Son langage résolument novateur, son inventivité, son imagination foisonnante ont ouvert une nouvelle voie à la bande dessinée.
Fred est décédé le 2 avril 2013, à l’âge de 82 ans.